Louise de Polastron, grand-amour du comte d'Artois
Mme de Polastron était l'épouse du frère de la duchesse de Polignac. Elle était prénommée Louise d'Esparbès de Lussan, et née en 1764. Elle était la fille de Louis François d’Esparbès de Lussan (1732-1811) et de Marie Catherine Julie Rougeot (1745-1764). Après avoir perdu sa mère peu de temps après sa naissance, Marie Louise fut élevée par sa grand-mère. À l'âge de douze ans, elle est envoyée au couvent de Panthemont. Timide, douce et gracieuse, Louise était l’élève préférée des religieuses. Elle quitta le couvent à l'âge de dix-sept ans pour être mariée par son père à Denis, vicomte de Polastron. Gabrielle Martine Yolande de Polignac, demi-sœur du Vicomte, organisa une entrevue au couvent. Charmée par le comportement modeste de la jeune fille, elle pensait qu’elle était une promise parfaite pour son frère. Dans ses mémoires, Madame de Gontaut rapporte les propos de Gabrielle de Polignac : « Maintenant que tout est arrangé, et que les jeunes gens s’aiment, nous devons commencer à faire les préparatifs pour le mariage. Il aura lieu à Versailles. J'ai obtenu la position de dame du palais de la reine pour ma charmante belle-sœur, avec un appartement dans le palais. Nous serons toujours ensemble ; elle ne sera pas seulement une sœur pour moi, mais un enfant aimé. J'aime penser qu'avec nous, elle ne peut pas échouer pour être heureuse ». Le mariage fut simple et modeste. Le jeune marié, élevé au rang de colonel, partit prendre le commandement de son régiment juste après la cérémonie, il y restera un an. Comme Madame de Gontaut le dit : "En ces jours-là, c’est souvent ainsi que les jeunes couples faisaient connaissance." La duchesse de Montaut-Navailles (mère de Madame de Gontaut) fut choisie pour veiller sur Louise à la cour, de même que la duchesse de Guiche (fille de Madame de Polignac). Après le mariage, les préparatifs commencèrent pour que Louise soit officiellement présentée à la reine. Sa robe fut conçue par Rose Bertin et ses cheveux coiffés par Léonard. Elle fut instruite de la façon de faire une révérence à la reine. Elle fut présentée à Marie-Antoinette par la duchesse de Polignac, avec sa fille la duchesse de Guiche et Madame de Montaut. Ce fut un désastre. La nouvelle vicomtesse de Polastron oublia tout qu'elle avait appris, resta figée devant la reine, les princes et la cour. Elle se tint raide et immobile, même lorsque Marie-Antoinette s’avança pour l'embrasser. Ce fut un déshonneur indescriptible qui fit chuchoter et glousser tous les courtisans. Le comte d'Artois, cependant, fut ému par sa timidité et sa douceur. Il lui parla le jour suivant quand tous les autres l’évitaient. Habitué aux conquêtes faciles, il fut enchanté par la vertu et la retenue de Louise et tomba profondément amoureux d'elle. Madame de Gontaut la décrit : " Madame de Polastron était très agréable, sans être jolie ; sa figure
était mince et souple, et son expression était triste et émouvante. Elle était trop timide pour parler très fort ; sa voix avait un charme merveilleux, et elle s’exprimait avec dignité et grâce. Elle n'était ni humble ni arrogante, mais très réservée ; et pour la connaître, il était nécessaire de faire un effort pour la faire parler. Le prince, qui ressentait de la compassion pour elle, l'a cherchée et a fait cet effort. " Artois causa une grande agitation à la cour en flânant soudain autour des appartements de Madame de Polignac afin d'être près de Louise, incapable de cacher son admiration. Marie-Antoinette le remarqua et avertit Louise au sujet des attentions de son beau-frère, mais elle était trop innocente pour tout comprendre. Madame de Gontaut rapporte dans ses mémoires que sa mère, la duchesse de Montaut-Navailles, qui avait la tâche de surveiller Louise de Polastron, était elle-même trop naïve au sujet de la vie pour la protéger contre les avances amoureuses du comte d'Artois. Madame de Montaut-Navailles vit que le prince avait de l’égard envers Louise, mais elle avait le "sentiment que [Louise] l'a mérité par sa conduite noble et simple, elle aurait senti cela comme un péché si elle avait attaché à ce respect le plus léger soupçon de la galanterie."Louise continua à fréquenter le prince et à être l’objet du comportement flatteur et galant du prince. Le mari de Louise, le vicomte de Polastron, revint finalement à Versailles après avoir été avec son régiment pendant un an. Denis de Polastron n’avait pas le charme de sa sœur Gabrielle de Polignac. Il ne fut pas apprécié à la cour. De son côté, il ne s’intéressait pas à la cour royale et désirait ardemment retourner vers son régiment. Il eut un fils de son épouse, nommé Louis, qui eut Louis XVI et Marie-Antoinette pour parrains. La maternité apporta à Louise un grand bonheur et, bien que son mari pût être hargneux et désagréable, elle prit confiance. Bientôt, elle eut un petit cercle d’amis, tout en continuant à servir la reine. Le comte d’Artois, toujours sous le charme, lui écrivit finalement une lettre d’amour passionnée, promettant de faire n'importe quel sacrifice afin de la gagner. Louise, profondément touchée mais remplie de confusion, montra la lettre à la duchesse de Montaut-Navailles, qui l’enjoignit de ne pas y donner de réponse. Louise "aussi pure qu'un ange" ouvrit son cœur à la
reine et à sa belle-sœur la duchesse de Polignac. Marie-Antoinette lui conseilla de quitter Versailles pour Paris et de venir seulement les jours où elle était de service. Bientôt on dit à Paris que Madame de Polastron "était exilée" et que le prince était dans le "désespoir." Selon Madame de Gontaut, le comte d'Artois fut déprimé et blessé par ce déplacement que la reine avait imposé, mais plus il rencontrait d’obstacles, plus il essayait de les surmonter. Il fit savoir à Louise qu'il saisirait chaque occasion de la rencontrer, même si il ne pouvait pas lui parler, au moins il la verrait à n'importe quel prix. Ainsi, Artois apprit quelle nuit Madame de Montaut-Navailles irait à l'opéra accompagnée de Louise. Il se déguisa, perruque énorme, foulard brodé, et volumineux manteau d'équitation. Il prit un carrosse en ville, mais malgré son accoutrement, chacun l'identifia, et sa présence causa une grande agitation à l'opéra. Il ôta ostensiblement sa perruque et son grand manteau, espérant attirer l'attention de Louise. Louise, offusquée, se cacha dans la loge d’opéra de son cousin. Mais les ragots l'avaient déjà déclarée maîtresse du prince ; beaucoup ne comprirent pas sa détermination à être une épouse fidèle. Elle “a passé plusieurs années dans l'imploration de la paix du ciel pour son esprit las, et force pour résister à toute la tentation qui pourrait déranger cette paix”. Elle continua à éviter le prince, mais sa vie conjugale devint difficile et les temps devinrent durs. Artois se trouvait au centre des controverses politiques en raison de son conservatisme et de sa résistance à toutes les idées révolutionnaires. En juillet 1789, après la prise de la Bastille, le comte d'Artois et sa famille émigrèrent ainsi que les Polignac. Louise revint à Versailles pour être aux côtés de la reine, mais Marie-Antoinette l'implora de fuir aussitôt qu'elle le pourrait pour rejoindre les Polignac à l'étranger. Le mari de Louise était déjà parti avec son régiment. Louise voyagea avec son fils à Turin où les Polignac résidaient temporairement. La nouvelle lui vint d’Allemagne que le comte d’Artois et sa colonie d’émigrés avaient besoin d’argent et d’approvisionnements. Louise demanda à son grand-père l’argent de sa dot. Avec son fils et deux domestiques, elle voyagea en carrosse jusqu’à Coblence, sachant à peine où aller Enfin, elle trouva l'armée du prince de Condé, avec le comte d'Artois. Son arrivée fit sensation. Artois, qui pensait ne jamais la revoir, marcha lentement vers le carrosse avec stupéfaction. Comme Madame de Gontaut le décrit : "Monseigneur n'a pas compris ce qui l'avait amenée, et l’interrogeait ; étonné de trouver tellement de dévotion, de résolution, et de courage dans cette âme timide, il a été considérablement touché, et submergé de gratitude. Mais déjà il avait prévu pour elle les conséquences de son imprudence.... " Le peuple se tut pendant que
le prince ôtait son chapeau et s’inclinait en disant, "Quels sont vos ordres, Madame ?" "Trouver un abri," lui répondit Louise, épuisée. Artois lui prépara immédiatement ses quartiers, mais pendant qu'elle était escortée, quelqu'un dans la foule cria : "putain !" Après que Madame de Polignac fut morte du cancer à Vienne en 1793, sa famille et ses amis furent dispersés ; beaucoup prirent le chemin de l’Écosse, où Artois tenait sa cour au palais de Holyrood à Edimbourg, par courtoisie du monarque anglais. Il vivait alors ouvertement avec Louise de Polastron. Madame de Montaut-Navailles, la rencontrant après plusieurs d'années d'exil, trouva Louise triste et malheureuse ; elle ressentit une profonde pitié pour elle. Louise était une femme pieuse avec un fort sens de l'honneur ; son style de vie qui violait sa croyance religieuse et ses principes moraux ne pouvait pas lui apporter le bonheur. Néanmoins, elle était tellement attachée au comte d’Artois, et inversement, qu’elle ne trouva pas la force de le quitter. Louise éleva son fils et l’envoya à l'université ; elle ne retrouva pas son mari, ni Artois son épouse, tous deux restés sur le continent. Quant à Artois, il possédait enfin la dame de son cœur, et en était content. Chaque soir avec son entourage, il jouait aux cartes dans le salon de Louise. En 1804, il l’emmena à Londres et c’est là qu'elle retrouva sa cousine, Madame de Gontaut. Cette dernière fut choquée de trouver Louise toussante et pâle. Elle ne s'était jamais plainte et ceux qui l'entouraient semblaient ignorer qu'elle était malade. Avec grande difficulté, Madame de Gontaut obtent pour Louise le médecin de roi George III, Henry Halford, qui diagnostiqua les dernières étapes de la tuberculose. Quand le docteur apprit la nouvelle à Artois, lui indiquant que la vicomtesse de Polastron devait être emmenée à la campagne pour un repos complet, le prince fut choqué. "Faites n'importe quoi pour la sauver!" implora-t-il. Madame de Gontaut trouva une maison à la campagne chez les Brompton pour sa cousine mourante et s’occupa d'elle tendrement. Elle fut particulièrement préoccupée par le manque de paix intérieure et le désespoir dont Louise parlait dans leurs conversations. Elle envoya un prêtre, l'abbé Latil. Il lui demanda le sacrifice de ne pas revoir Artois. Louise accepta demandant seulement de le revoir à l'heure de sa mort. Le prêtre y consentit. Une semaine plus tard, Louise dépérissait rapidement. Elle dit adieu à son fils, à ses fidèles domestiques, et à ses derniers amis, demandant leur pardon pour le scandale public qu'elle avait occasionné. Tous étaient présents quand le dernier moment approcha, Artois se précipita dans la maison et fit une pause à la porte de Louise. Tremblante, elle éleva des mains au ciel et dit : "une faveur, Monsieur, accordez-moi une demande. Donnez-vous à Dieu !" Artois tomba à genoux. "Dieu est mon témoin, je le jure !" "Entièrement à Dieu !" répéta Louise, et sa tête tomba sur l'épaule de sa cousine pendant qu'elle rendait son dernier souffle. Artois pleura dehors et souleva ses bras comme pour embrasser son âme fuyante. "Je le jure !" promit-il encore. Il demanda à l’abbé Latil de le recevoir en tant que pénitent. Il fit vœu de chasteté, bien que, le note Madame de Gontaut : "il fut jeune, beau, un prince, et un roi." Il maintint son vœu jusqu'à sa propre mort dans 1836.